FJK 009

Bellini Gentile (1429-1507)

Procession funéraire de la Vierge

Avant 1479
248 x 366 mm

Technique
Plume et encre brun foncé sur parchemin

Certificat

Lettre du Prof. W.R. Rearick datée du 18 novembre 1999.
Lettre du Dr. Anchise Tempestini, Kunsthistorisches Institut, Florence, datée du 23 Février 2000.
Lettre de Madame Françoise Viatte, Département des arts graphiques du Louvre, datée du 21 septembre 2001.
Lettre de Monsieur Marcel Roethlisberger, datée du 25 juillet 2002.

Provenance

Collection particulière, Milan (19e siècle)
Collection particulière, Milan (par descendance)
Collection particulière, Monte-Carlo
Collection Mr. Gabor Kekko, Monte-Carlo
Collection Jan Krugier, Monaco (acquisition du précédent propriétaire en septembre 2000), JK 5828
Fondation Jan Krugier

Expositions

Musée Jacquemart-André, Paris, La Passion du dessin. Collection Jan et Marie-Anne Krugier-Poniatowski, 19 mars - 30 juin 2002, cat. 2, pp. 24-27 ; reproduction couleur p. 25;

Kunsthalle der Hypo-Kulturstiftung, Munich, Das Ewige Auge - Von Rembrandt bis Picasso. Meisterwerke aus der Sammlung Jan Krugier und Marie-Anne Krugier-Poniatowski, 20.07 - 07.10.2007, cat. 5, p. 26 ; reproduction couleur p. 27.

Notes

La Procession funéraire de la Vierge, qui est probablement l'unique composition biblique de Jacopo Bellini ou d'un membre de son atelier, existe en quatre versions dessinées qui font partie de différents albums. Un dessin à la plume et à l'encre brune sur parchemin (fig. 1: musée du Louvre, Paris), sans doute le premier, est certainement de la main de Jacopo. L'étude à la pierre noire sur papier ivoire, réalisée sur deux feuilles (fig. 2a et 2b: British Museum, Londres, folios 4v et 5r), est d'un style différent qui ne me semble pas être celui de Jacopo. Un autre dessin à l'encre sur papier, découpé et conservé en deux endroits (fig. 3a et 3b) - la partie inférieure droite au Fogg Art Museum de Cambridge, Massachussets (inv. 1932.275, fonds Loeser) et la partie supérieure gauche au Département des arts graphiques du musée du Louvre, Paris (inv.RF.281bis) - est de la main d'un autre membre de l'atelier. Enfin, la dernière version appartient à la collection Krugier-Poniatowski [Fondation Jan Krugier]. Cette feuille reprend avec des variantes le dessin du Louvre, mais présente aussi des affinités stylistiques avec les feuilles du British Museum.

Dans les ouvrages scientifiques, toutes ces versions sont considérées comme des œuvres autographes de Jacopo. Le présent dessin jusqu'ici inconnu fut porté à mon attention en 1998 par Stefan Kekko et je proposais de l'attribuer à Gentile Bellini, d'après une composition de Jacopo. C'est en 2010 qu'il fut acquis par Jan et Marie-Anne Krugier-Poniatowski [Fondation Jan Krugier]. Cette attribution fut approuvée par Teresio Pignatti (communication verbale de 1999) cependant qu'Anchise Tempestini (lettre datée du 23 février 2000) et Marcel Roethlisberger (communication verbale de 2000) continuaient à donner le dessin à Jacopo. Tom Nichols (communication verbale de 2000) se rallie à eux et propose de le dater vers 1460.

Les nombreuses questions entourant toujours l'œuvre de Jacopo Bellini ne peuvent être résolues ici, mais certaines d'entre elles peuvent être au moins posées. Les albums conservés à Paris et à Londres se singularisent dans l'histoire du dessin européen parce qu'ils témoignent d'une nette évolution par rapport à la tradition médiévale et constituent des manuels de modèles pour toutes sortes de compositions ou de motifs. Mais, dans ce cas précis, ces dessins sont également des œuvres d'art à part entière. Aussi, les deux albums révèlent-ils la précieuse contribution artistique de Jacopo Bellini et, bien qu'ils regroupent des dessins préparatoires pour ses tableaux, ils démontrent aussi ses talents de dessinateur, de maître en perspective et de créateur de scènes narratives et encyclopédiques. L'importance et la signification de ces albums, à ses yeux comme à ceux de ses fils artistes, sont évidentes puisque Jacopo les légua par héritage à son aîné, Gentile, qui les a respectueusement conservés. Ces dessins, dont la valeur pédagogique n'était pas jusqu'à maintenant reconnue, servirent aussi de modèles aux élèves de l'atelier, parmi lesquels figuraient son fils aîné Gentile et son benjamin, peut-être illégitime, Giovanni. Parmi les copies et les variantes exécutées d'après les originaux, certaines ont pu être réunies sans distinction et reliées dans les albums qui restaient propriétés de l'atelier, tandis que les dessins autonomes appartenaient à celui qui les avait dessinées. Il est donc important d'identifier les différents auteurs qui ont contribué aux albums de Londres et de Paris et, principalement, lorsqu'il s'agit d'une composition inventive présentant des modifications ou des variantes. Tel est le cas qui nous occupe avec les quatre versions de la Procession funéraire de la Vierge. Si nous acceptons, comme je le pense, que le dessin du Louvre est de la main de Jacopo, il peut être daté des années 1458-1459 en raison de sa maîtrise de la plume qui égale déjà la virtuosité déployée jusque-là avec la pointe d'argent. En témoigne l'importance des contours et des hachures croisées et parallèles dans le rendu d'un subtil chiaruscoro qui fait encore défaut dans le dessin vigoureux de L'Adoration des mages exécuté avant 1453 (conservé au Louvre, folio 34; auparavant Eremantani, Padoue) et influencé par les reliefs du sculpteur Nicolo Pizzolo.

Dans La Procession du Louvre, les figures sont traitées à la plume, par petites touches délicatement appliquées sur le parchemin, afin d'accroître les effets picturaux tout en s'éloignant de la discipline prônée par Mantegna. Cette composition met en scène deux groupes de figures convergentes qui se rejoignent à la porte de la ville, dont les murailles forment une sorte de frise plane. Les personnages placés le long de diagonales strictes, dont l'une est doublée à droite par le mur, créent une trouée spatiale assez marquée. Comme cette disposition abstraite et quelque peu arbitraire n'était alors plus à la mode, Jacopo ou l'un des membres de l'atelier a pu vouloir la simplifier dans les versions ultérieures de cette composition. Aussi, sur la double feuille à la pierre noire (British Museum, folios 4v et 5r), le chiaroscuro prend-il l'aspect d'un voile qui rend l'espace à peine perceptible. Si l'estompage de la pierre noire est à l'origine d'une atmosphère vaporeuse inédite, le dessin révèle les nouvelles préoccupations de l'artiste. Le groupe d'apôtres portant la bière est repris à la première feuille du Louvre (fig. 2b) tandis que la répartition des figures dans un vaste paysage brumeux (fig. 2a) pourrait provenir d'une autre feuille, voire d'un autre sujet. Pour des raisons qui deviendront évidentes, je suggère de l'attribuer à Gentile Bellini.

Le dessin de la collection Krugier-Poniatowski [Fondation Jan Krugier] anticipe sur la douceur des modelés de l'étude du British Museum, comme sur sa plus grande variété de motifs. Son traitement de la lumière et sa touche fondue annoncent également l'atmosphère embrumée de la feuille londonienne. En revanche, il reprend la composition géométrique du Louvre. Un détail significatif, ajouté dans la feuille Krugier-Poniatowski [Fondation Jan Krugier], distingue pourtant ce dessin de celui du Louvre: l'oiseau situé à gauche des nuages, une libre et joyeuse allusion à la nature et à la spontanéité d'un battement d'aile, absente du langage pictural de Jacopo.

Pour comprendre ces différentes approches du dessin exécuté dans l'atelier de Bellini, il est utile de comparer cette série de Procession à un autre groupe de dessins dédiés au Christ dans les limbes. La feuille à la plume du musée du Louvre (folio 22v) présente une même vision analytique que la Procession funéraire de la Vierge conservée dans ce même musée, alors que le Christ dans les limbes du British Museum (folios 25v et 26r) présente une atmosphère vaporeuse et une composition éparpillée comparables à la Procession de Londres. Il n'a malheureusement pas été retrouvé de version du Christ, à supposer qu'elle ait existé, qui puisse constituer un pendant stylistique avec la Procession de la collection Krugier-Poniatowski [Fondation Jan Krugier] et donc confirmer un état intermédiaire. Au moins savons-nous que cette série a servi de point de départ à un tableau : la prédelle représentant le Christ dans les limbes (Museo civico, Padoue) appartenait autrefois à un polyptyque destiné à la chapelle Gattamelata de la Basilique Saint-Antoine de Padoue. Cette partie du maître-autel a été exécutée par l'atelier Bellini; elle est datée de 1461 et signée par Gentile, son père Jacopo et son frère Giovanni. Ce polyptyque aujourd'hui démembré témoigne de l'indépendance que prenaient les fils par rapport à l'art de leur père depuis qu'ils avaient été enregistrés comme maîtres après leur apprentissage dans l'atelier paternel. Le panneau de gauche figurant saint Antoine abbé et saint Bernard de Sienne (Museo civivo, Padoue) a été dessiné par Jacopo avec l'aide de Gentile. La Madone centrale est perdue, tout comme la partie droite où étaient représentés deux saints a disparu, mais on peut supposer que Giovanni a participé à la réalisation de ces figures. Sur la prédelle, en revanche, les trois sujets peints sont réparties comme suit: La Crucifixion (Museo civio, Padoue) a été dessinée et peinte par Jacopo; L'Adoration des mages (Pinacoteca nazionale, Ferrare) est donnée à Giovanni; Le Christ dans les limbes a été exécutée par Gentile.

Les deux études pour Le Christ dans les limbes, de même que les trois premières feuilles de la Procession funéraire de la Vierge, illustrent l'évolution de Gentile, les leçons qu'il a retenu de son père et ses propres préoccupations picturales. Celles-ci sont notables dans le panneau de Padoue: contours flous, dessins des personnages, tonalité beige-jaune...

La feuille Krugier-Poniatowski [Fondation Jan Krugier] illustre bien cette première phase de développement.

La feuille, maintenant coupée en deux et divisée entre le Louvre et le Fogg Art Museum (fig. 3a et 3b) témoigne d'une évolution similaire. Par contre, il faut revenir aux dessins préparatoires du polyptyque de la chapelle Gattamelata parce qu'ils dévoilent les affinités stylistiques entre Jacopo et Giovanni, mais aussi l'apparition d'une écriture personnelle chez le second fils. Son dessin reprend le format de L'Adoration des mages de Jacopo (musée du Louvre, folio 34r) mais non l'aspect sculptural influencé par le relief Ovetari de Nicolo Pizzolo. C'est en comparant ces dessins à une composition sur deux feuilles du British Museum (folios 18v et 19r) que se remarque plus particulièrement l'évolution de Giovanni. Dessinée à la pierre noire, elle possède un aspect très légèrement pictural, mais plus descriptif et mieux équilibré que le Christ dans les limbes de Gentile. Le déroulement du cortège dépeint dans la Procession funéraire de la Vierge présente un style éloigné de l'écriture picturale de Jacopo ou de Gentile. L'auteur simplifie la composition et concentre la procession sur la droite, en une longue diagonale qui s'étend jusqu'à la porte de la ville et se fond dans un arrière-plan légèrement estompé. (Il répète le motif sur la gauche). Les personnages dotés à la fois d'une vie insolite et d'une assurance tranquille donnent à ce dessin une note de fraîcheur et d'irréalité, absente des œuvres de Jacopo. Cette animation est perceptible dans L'Adoration de Ferrare. L'indépendance du jeune artiste est achevée dans deux autres dessins à l'encre - représentant respectivement un saint Pierre et un Apôtre (musée Bonnat, Bayonne, inv. 689 et 1284) - qui sont internationalement reconnus comme appartenant aux premières feuilles de ce peintre. Aussi suggérons-nous que les fragments du Louvre et du Fogg Art Museum peuvent témoigner de l'émancipation de Giovanni, alors que la feuille Krugier-Poniatowski [Fondation Jan Krugier] illustre, quant à elle, l'autonomie prise par Gentile par rapport à l'influence paternelle.

La date de ce présent dessin, de même que ses variantes, peut trouver un ante quem en 1479, l'année où Gentile emporte l'original de Jacopo à Constantinople. Comme, à mon sens, ces similitudes formelles rappellent celles du polyptyque de Gattamelata, daté de 1461, je pense que ce dessin doit avoir été réalisé à peu près à la même époque. L'atelier de la famille Bellini, loin de refléter une production homogène issue de l'activité d'un seul artiste, présente en majorité des feuilles de Jacopo, mais aussi les premières études et variantes de Gentile et de Giovanni, parmi celles d'autres apprentis. Aussi les dessins de l'atelier réunis en albums comportent-ils des feuilles de Gentile et de Giovanni. Mais cette rare feuille fait partie des dessins indépendants qui ont été conservés par leurs jeunes auteurs. La première publication de ce dessin, dans un catalogue, devrait contribuer à clarifier cette situation en apparence complexe mais parfaitement normale au regard de l'histoire des ateliers de la Renaissance.

Roger W. Rearick, La Passion du Dessin, Musée Jacquemart-André, Paris 2002, pp. 24, 26 et 27

Demande d'information/de prêt

La Fondation Jan Krugier se consacre au rayonnement de la collection de dessins en prêtant régulièrement des œuvres pour des expositions. Les demandes de prêt devront comporter une présentation complète du projet.