Veronese (Paolo Caliari dit) (1528-1588)

Paolo Véronèse a repris de nombreuses fois le thème du baptême du Christ, sujet d'au moins quatorze tableaux qui ont quitté son atelier entre 1548 et la dernière décennie du siècle

Nous sommes en mesure d'identifier six études préparatoires de la main du maître. Ce petit dessin a appartenu à d'importantes collections du XVIIe siècle, mais n'a été publié que fort récemment lorsqu'il a été identifié comme une étude préliminaire pour le tableau du Museum of Art de Raleigh, Caroline du Nord. Tous les deux datent de 1563, après deux années très productives pendant lesquelles Véronèse a exécuté un grand nombre de maîtres-autels, de petite et de grande taille, ainsi que le cycle de fresques de la villa Barbaro à Maser, le tableau d'histoire "perdu" de la Sala del Magggior Consiglio au palais des Doges de Venise et les Noces de Cana, conservées au musée du Louvre.

La feuille Krugier-Poniatowski [Fondation Jan Krugier] illustre superbement le don de Véronèse pour varier de style entre chaque chef-d'œuvre avec une parfaite assurance. Dès le départ, il choisit une structure identique à celle utilisée pour le Baptême Stravazino, peint en 1561, qui est conservé au Redentore.

Véronèse a d'abord esquissé au milieu de la feuille un petit pensiero pour le Christ et saint Jean-Baptiste. Il corrige ensuite sa pensée à gauche afin de réduire la distance entre les figures. Avec un délicat lavis, il intensifie le modelé du premier dessin. Il ajoute une indication de l'apparition et, en-dessous, le Jourdain. Ensuite, il se tourne vers les anges qu'il dessine à l'extrême gauche, sans lien direct avec la scène centrale. Leur positon debout ne le satisfaisant pas, il se tourne vers la droite et dessine à nouveau deux anges auxquels il applique un lavis bistre. Enfin il procède à un dernier essai, l'ange agenouillé qui tient le manteau du Christ, qu'il reprend dans le tableau de Raleigh.

Véronèse a toujours préféré les dessins à la plume et à l'encre pour ce type d'esquisse et ses premiers dessins présentent un réseau de lignes nerveuses. Dans sa phase vénitienne, il ajoute un lavis de bistre pour donner un caractère définitif à cette étude.

La feuille Krugier-Poniatowski [Fondation Jan Krugier] représente la parfaite maturité de l'artiste et sa virtuosité dans la maîtrise du médium. Ce processus de création révèle son assurance, son classicisme et sa créativité. Cette multiplicité stylistique, qui semble presque moderne, a laissé une impression profonde sur les artistes vénitiens du dernier quart du XVIe siècle et sur les générations suivantes qui ont choisi la plume d'oie pour exprimer la plus subtile de leurs pensées.

Roger W. Rearick, La Passion du Dessin, Musée Jacquemart-André, Paris 2002, p. 100