FJK 075

Le Pordenone (Giovanni Antonio Licinio, dit) (ca. 1484-1539)

Evêque entouré de deux anges (Etude pour un écoinçon)

Date inconnue
149 x 87 mm

Technique
Sanguine portée au pinceau sur traces d'esquisse à la plume et encre brune sur papier

Estampille de la collection Herbert List en bas, à droite (apposée à sec)

Provenance

Collection Herbert List, Munich
Vente Sotheby's, New York, 23 janvier 2001, lot 188 (comme "Camillo Boccaccino")
Collection Jan Krugier, Monaco, JK 5874
Fondation Jan Krugier

Expositions

Musée Jacquemart-André, Paris, La Passion du dessin. Collection Jan et Marie-Anne Krugier-Poniatowski, 08.04-30.06.2002, cat. 21, p. 64; reproduction couleur p. 65.

Notes

Ce dessin vif, qui appartenait à la collection Herbert List, a récemment été vendu comme un Evêque et des anges par Camillo Boccaccino (1504/05-1546). Lors de son acquisition Jan et Marie-Anne Krugier-Poniatowski [Fondation Jan Krugier], le connaisseur et collectionneur Jak Katalan a affirmé qu'il était de la main de Pordenone. L'auteur de ce texte confirme cette attribution et présente ici la feuille pour la première fois en la resituant dans l'œuvre dessiné de Pordenone.

Utilisant de manière inhabituelle et simultanée plusieurs techniques, Pordenone commence son dessin par quelques traits rapides, à la plume et à l'encre, pour évoquer la lumière, puis recourt à sa technique favorite, la sanguine, pour les effets picturaux. Il l'utilise avec beaucoup d'habileté, à sec ou diluée dans de l'eau, et l'applique avec une fine brosse pointue. Le résultat obtenu est celui d'une exploration instantanée et clairement évocatrice de la composition. L'évêque assis a la main droite posée sur un livre et la main gauche levée en signe d'étonnement. Il porte une mitre et les deux anges esquissés au-dessus de ses épaules semblent vouloir lui retirer sa coiffe. Quoique la marge courbe, à droite, peut être interprétée comme le bord de l'écoinçon, ce format en apparence déséquilibré est caractéristique de ce que l'on trouve généralement dans les œuvres de Pordenone. Je doute qu'il ait eu l'intention de remplir cet espace.

Une fois élaborée cette première idée, l'artiste dessine une autre étude pour en modifier la composition (Ashmolean Museum, Oxford, inv. 490A). Ces deux dessins, provenant de la même feuille, furent découpés et séparés par la suite. Pour ce deuxième concetto, plus restreint, il utilise la sanguine avec quelques gouttes d'eau/légèrement humidifiée et ajuste la disposition des personnages, leurs mouvements et leurs gestes. La mitre de l'évêque est tenue par l'ange situé à droite tandis que son compagnon tend un morceau de papier au prélat qui tient son livre plus haut dans sa main droite. Les deux anges ajoutés dans la partie gauche ne font rien de particulier. Pour clarifier et renforcer la présence des quatre putti, Pordenone concentre son attention sur le modelé et le détail dans une nouvelle étude à la sanguine (Ashmolean Museum, Oxford, inv. 490B). Celle-ci est ébauchée sur un papier qui porte des traces de découpe, ce qui laisse supposer qu'elle devait [faire] partie de la même feuille. Dans cette esquisse, les anges placés à droite portent le livre et jouent de manière taquine avec la mitre. Il ne faut pas exclure que d'autres études ont pu être entreprises à la suite de ce travail.

Après avoir établi son concetto, Pordenone a exécuté un modello à la plume et à l'encre brune, puis au lavis de noir, gris et brun, appliqué avec un pinceau fin et rehaussé de blanc sur un papier bleu, dont la couleur est légèrement passée (Windsor Castle, inv. 5458). Les poses et les gestes des anges sont une fois de plus différents et l'évêque, qui peut être identifié ici à saint Augustin, offre une attitude pleine de grandeur et d'assurance. Cependant, le modello ne constitue pas le projet final de Pordenone. Excepté Hadeln (Venezianische Zeichnungen der Hochrenaissance, Berlin, 1925), aucun historien n'a rapproché ce modello de la fresque de Pordenone représentant Saint Augustin (Santa Maria di Campagna, Piacenza). Il est plus que probable que les trois dessins ont servi à l'élaboration de cette figure et qu'ils ont constitué des variantes pour la position des bras et de la tête du saint; de même, les putti, au nombre de cinq sur la fresque, ont été modifiés par rapport aux dessins mais portent toujours la mitre. Ces changements coïncident avec l'exécution picturale, à la fois plus serrée et plus naturaliste, en fin de compte plus explicitement vénitienne dans la description des surfaces et des détails. En réalité, la succession des dessins suit un cheminement identique : depuis l'exubérante esquisse Krugier-Poniatowski [Fondation Jan Krugier] jusqu'au modello plus retenu de Windsor. Pordenone rejette finalement cette formulation parce qu'il la considère trop mouvementée et trop dramatique pour s'intégrer dans la fresque de Piacenza.

De nombreux détails confirment que les dessins appartiennent à la même série: la plasticité audacieuse du drapé sur le genou gauche du saint, par exemple, est atténuée mais pas éliminée dans la fresque. Le cycle des fresques de Santa Maria di Campagna n'est pas daté mais peut-être chronologiquement situé dans le temps, après 1532, et plus probablement aux alentours de 1536, en raison de l'absence d'activités précises dans la carrière vénitienne de Pordenone à ce moment là. Néanmoins, la technique et la maîtrise du dessin de l'étude Krugier-Poniatowski [Fondation Jan Krugier] n'ont rien de vénitien. Elles évoquent encore la manière crémonaise que Pordenone offrait quinze ans plus tôt. Ainsi, ce dessin projette-t-il un nouvel éclairage sur l'évolution créatrice et stylistique de Pordenone.

W. Roger Rearick, La Passion du Dessin, Musée Jacquemart-André, Paris 2002, p. 64

Demande d'information/de prêt

La Fondation Jan Krugier se consacre au rayonnement de la collection de dessins en prêtant régulièrement des œuvres pour des expositions. Les demandes de prêt devront comporter une présentation complète du projet.