FJK 071

Il Tintoretto (Jacopo Robusti dit) (1518-1594)

Etude de Nus, vus de dos, au bras gauche levé, d'après une sculpture de Jacopo Sansovino (recto)
Deux études de nus, le bras gauche levé (verso)

Vers 1540-1550 (?)
402 x 266 mm

Technique
Fusain rehaussé de blanc sur papier

Provenance

Collection Dr. and Mrs Victor Bloch, Londres
Vente Sotheby's, Londres, 12 novembre 1964, no 114
Collection particulière
Vente Christies, Londres, 3 avril 1984, lot 57
Collection Jan Krugier, Monaco, JK 3870
Fondation Jan Krugier

Bibliographie

WEIHRAUCH H.R., Europaïsche Bronzestatuetten 15.-18. Jahrhundert, Brunswich, 1967,p. 463, pl. 552 (recto);

KRISCHEL Roland, Tintoretto e la scultura veneziana, Venezia Cinquecento. Studi di storia dell'arte e della cultura, 6, 1996, n° 67;

KRISCHEL Roland, Jacopo Tintoretto 1519-1594, Könemann Verlagsgesellschaft, Köln, 2000, fig. 88, p. 100;

MENIN MURARO Giuseppina, PUPPULIN Daniela, Settimo e Ottavo Incontro in Ricordo di Michelangelo Muraro, 15 MAGGIO 1998 E 1999, Giovani Editori, Sossano, 2000;

ILCHMANN Frederik, Tintoretto : pensare e disegnare in grande, fig. 8, p. 59; ill. n/b. p. 58.

Expositions

Kupferstichkabinett, Staatliche Museen zu Berlin - Preussischer Kulturbesitz, Berlin, Linie, Licht und Schatten. Meisterzeichnungen und Skulpturen der Sammlung Jan und Marie-Anne Krugier-Poniatowski, 29.05-01.08.1999, cat. 13, p. 40; reproduction couleur p. 41;

Peggy Guggenheim Collection, Solomon R. Guggenheim Foundation, Venise, The Timeless Eye. Master Drawings from the Jan and Marie-Anne Krugier-Poniatowski Collection, 03.09-12.12.1999, cat. 34, p. 82; reproduction couleur p. 83;

Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid, Miradas sin Tiempo. Dibujos, Pinturas y Esculturas de la Coleccion Jan y Marie-Anne Krugier-Poniatowski, 02.02-14.05.2000, cat. 33, pp. 96, 98; reproduction couleur pp. 97, 99;

Musée Jacquemart-André, Paris, La Passion du Dessin. Collection Jan et Marie-Anne Krugier-Poniatowski, 19.03 - 30.06.2002, cat. 34, p. 92; reproduction couleur p. 93.

Notes

Notes (1)

Tintoret étudia également de face (Rotterdam, Museum Boijmans Van Beuningen) et de profil droit (fig. p. 42) la sculpture d'un homme nu dessinée, respectivement deux fois et avec un éclairage changeant, au recto et au verso de cette feuille. Dans l'étude de profil apparaît à côté de l'homme la sculpture (sans bras) d'une femme également nue. La barre d'appui en bois que l'on distingue entre les jambes de la figure masculine renvoie à un bozzetto de cire que Tintoret utilise pour ainsi dire comme modèle anatomique. D'une manière systématique, le peintre explore ici, et sur une feuille conservée sous une forme fragmentaire (Oxford, Ashmolean Museum), les muscles du dos et les valeurs d'expression de la figure, lesquelles varient selon l'éclairage. Du modèle fragile a été exécuté un moulage en bronze d'une hauteur de 45,5 centimètres (fig.). Jacopo a donc pour ainsi dire créé son dessin à l'échelle I/I.

A quel sculpteur et à quel projet cette œuvre doit-elle être attribuée? Ce qui surprend, c'est l'audacieux déséquilibre des masses qui, de loin, préfigure L'Âge d'airain de Rodin: tandis que la moitié gauche du corps est dominée par des motifs montants (genou fléchi, main levée), sa moitié droite l'est par le thème de la pesanteur (jambe de support, bras tombant). Une asymétrie identique, mais en miroir, caractérise le Mercure vêtu créé entre 1540 et 1545, une des quatre statues de bronze logées dans les niches conchoïdales de la loggetta, au pied du campanile de Saint-Marc. L'architecte et sculpteur Jacopo Sansovino créa le gracieux édifice de 1537 à 1546. Il offrit ensuite quelques-uns des bozzetti qu'il avait exécutés pour les bronzes, dont chacun porte sa signature. C'est ainsi que, dans une lettre à Pierre l'Arétin datée du 15 septembre 1551, l'éditeur Francesco Marcolini mentionne un Mars et une Minerve que lui aurait donnés Sansovino.

Un Mars, qui ne fut finalement pas placé dans la loggetta, figure dans un dessin de Francisco de Holanda exécuté en 1540 d'après un projet précoce de Sansovino. Vêtu d'une armure de type antique, le dieu de la Guerre y apparaît à gauche de l'entrée de la loggetta - arborant exactement la même position que la sculpture dessinée par Tintoret. À droite de l'entrée, Mercure était déjà prévu. Il y resta d'ailleurs mais prit plus tard la posture de Mars, laquelle devait être à cet effet reproduite en miroir.

Tintoret vit et étudia sans doute chez Marcolini, dont il fit la connaissance au plus tard en 1544, l'étude de nu en cire exécutée pour le Mars (futur Mercure) de la loggetta. Dans la lettre adressée à l'Arétin, et dans laquelle il mentionne également les sculptures de Sansovino, l'éditeur le qualifia de "raro e come mio figliolo" ("exceptionnel et comme mon fils"): le souvenir d'une visite vespérale de Jacopo, lors de laquelle le jeune peintre dessina les deux bozzetti sous une lumière artificielle riche de contrastes, était semble-t-il toujours présent à son esprit. C'est notamment le Mars qui fascinait Jacopo. On dirait presque qu'il repousse, dans le dessin ici exposé, de menaçants nuages. Dans deux peintures, il surgit de nouveau (sous les traits d'un Apollon musicien). Leur attribution à Tintoret lui-même et, partant, leur datation ne sont toutefois pas incontestées (1).

Roland Krischel, Tintoret, Naissance d'un génie, op. cit., p. 144

1. Hadeln 1929; Pallucchini 1950, p. 34 et suiv., 43, 94, 142, 145; Rossi 1975, p. 48 et suiv., 55 et fig. 6-9; Bury 1980; Pallucchini et Rossi 1982, vol. 2, fig. 79, 103; Boucher 1991, vol. 1, p. 76; Morresi 2000, p. 221. Formule de Sansovino pour la cire de sculpteur: Lotto et Zampetti 1969, p.3.

 

Notes (2)

Les trois feuilles du Tintoret conservées dans la collection Krugier-Poniatowski [Fondation Jan Krugier], donnent une idée des différentes techniques de dessin qu'il a utilisées. Celle-ci illustre son style le plus élaboré, caractéristique de sa jeunesse.

L'extraordinaire vigueur du modelé est dû à des gerbes de traits gris accolés. Dépassant la réalité anatomique, l'artiste amplifie les muscles et l'effet en trois dimensions est renforcé par les rehauts de blanc. Des traits en forme de petites vagues esquissent le modelé et on note une quasi absence de contours. Le fort chiaroscuro témoigne des efforts de l'artiste pour représenter les raccourcis, comme l'attestent ses grandes compositions peintes. L'une des principales caractéristiques du maître vénitien est la similitude entre le recto et le verso: des deux côtés on trouve un nu masculin en pied, le bras gauche relevé et un second nu masculin vu de trois quarts, également de dos. Etonnante, cette organisation spatiale constitue une norme et non pas une exception chez le jeune Tintoret. Cette répétition en série est particulièrement impressionnante dans son étude d'après le Samson de Michel Ange, où le modèle principal est répété trois fois de chaque côté (Besançon et Cambridge, MA; Rossi, 1975, fig. 25-8). En dépit de la vigueur de ces figures, on peut se demander s'il utilise déjà une source en deux dimensions plutôt qu'un modèle en trois dimensions.

 

Néanmoins, la source de lumière diffère entre les deux feuilles: sur le recto, c'est la figure la plus basse qui est éclairée d'en haut et au verso c'est la figure supérieure. En fait ces modèles en trois dimensions existent: le dessin reproduit fidèlement une statuette de moins de cinquante centimètres apparue il y a vingt ans environ sur le marché de l'art, après avoir été publié par Weinrauh en 1967 (p. 463) qui avait fait le rapprochement avec ces dessins (fig. 553). On pensait alors qu'elle avait été dessinée par Michel-Ange, la source préférée du vénitien (cat. Christie's, Londres, 25 juin 1980, n°151).

Le charme de cette feuille réside dans la position du personnage de droite, en équilibre précaire sur un pied et qui semble reculer, en exprimant la surprise ou la peur. Le Tintoret semble avoir éprouvé un intérêt particulier pour ce genre de pose instable. La feuille Krugier-Poniatowski [Fondation Jan Krugier] complète un groupe d'études de cette statuette dont les autres feuilles sont conservées à Christ Church, Oxford (inv. n°0361), au Musée Boymans van Beuningen, Rotterdam (inv. n°I 225) et à l'Ashmolean Museum, Oxford (inv. n°712).

Une explication de cette curieuse pose se retrouve dans une statuette de style michelangesque. C'est Roland Krischel, ignorant l'existence de la première, qui a attiré l'attention sur celle-ci (1996, pp. 25-35) et je tiens à le remercier pour l'entretien qu'il m'a consacré à ce sujet. Il s'agit du Mercure de Sansovino, l'un des quatre bronzes qu'il a créés pour la loggetta du campanile de San Marco à Venise (1540-45), dont la position est inversée par rapport au dessin. D'autre part le pied de Mercure est levé car celui-ci repose sur la tête d'Argus, ce qui n'est pas le cas de la statuette, qui est vêtue et dont le bras gauche est plus proche du torse. La pose de la statuette est moins généreuse, plus contrainte et moins convaincante d'un point de vue anatomique.

Néanmoins, une analogie existe entre les deux. Krischel explique les différences par la contrainte de la niche de la loggetta et du transfert du modèle en cire ou en terre cuite vers le bronze. Il rappelle aussi la fragilité du modèle ce qui explique la présence d'un support en bois entre les jambes, visible sur la feuille Krugier-Poniatowski [Fondation Jan Krugier] et sur la feuille Koenigs. Enfin Krischel rappelle que le célèbre éditeur Francesco Marcolini, dans une lettre à l'Aretin, du 15 septembre 1551, déclarait posséder deux chefs-d'œuvre de Sansovino, un Mars et une Minerve puis chantait les louanges du Tintoret qu'il considérait comme son fils. Krischel pense qu'il s'agit d'un premier projet pour la loggetta, dont le Mars s'est révélé être mieux fait que le Mercure. Il considère le personnage féminin représenté au côté du modèle masculin, sur les feuilles d'Oxford, comme un écho de la Minerve, malgré la raideur de la pose du bronze et sa cuirasse. Krischel termine en montrant comment le Tintoret utilise ces figures dans ses tableaux (pp. 34-5). Cette hypothèse correspond également à la date d'exécution proposée par Rossi, pour la feuille d'Oxford à savoir les années 1540, ce qui confirme le style de la feuille Krugier-Poniatowski [Fondation Jan Krugier].

Matthias Weniger, La Passion du Dessin, Musée Jacquemart-André, Paris 2002, p. 92

Demande d'information/de prêt

La Fondation Jan Krugier se consacre au rayonnement de la collection de dessins en prêtant régulièrement des œuvres pour des expositions. Les demandes de prêt devront comporter une présentation complète du projet.