La Fondation

Pour satisfaire au désir de leur père Jan Krugier, Tzila et Aviel Krugier ont créé la Fondation Jan Krugier, le 10 décembre 2010.
Cette Fondation privée à but non lucratif a été ouverte pour permettre aux œuvres de passer du privé au public à travers des expositions.
Le siège de la Fondation est situé à Lausanne (Suisse).
Elle est gérée par le Conseil de fondation suivant:

  • Madame Tzila Krugier, Présidente
  • Monsieur Aviel Krugier, Vice-président
  • Monsieur Nicolas Lambelet
  • Monsieur Nicholas Denat
  • Monsieur Nader Tewelde

Préface

Jan Krugier, mon père, a toujours rêvé d’une Fondation où, jeunes et moins jeunes, découvrant les trésors que le destin a fait transiter entre ses mains, ressentiraient un même et urgent besoin d’apprendre à regarder les œuvres d’art. A tendre les yeux vers la matière picturale, comme le mélomane tend l’oreille au chant mélancolique, d’une mélodie lointaine. Prudente attitude, gardant intact l’espoir d’une rencontre inespérée, d’un contact affectif, physique, charnel ‐ jusque dans le silence ou l’invisible ‐ avec le pouls des œuvres vivantes.

Avec le recul, cela ressemblerait assez au parcours initiatique de mon père, à sa quête infatigable, dont je ne mesurais pas vraiment (du haut de mes 10 ans…) la chance d’en avoir été un témoin très particulier. Je garde de nos sorties, le sentiment d’avoir partagé à ses côtés des instants uniques de la recherche, dont il avait fait la grande affaire de sa vie… Sa découverte des œuvres sur papier par exemple ‐ format affranchi des codes et des convenances qui, sous toutes ses formes ‐ dessins, esquisses, estampes, lavis, encre de Chine… ‐ lui paraissaient surgir avec une telle spontanéité, d’une source si proche de l’âme, qu’il en restera bouleversé jusqu’à la fin de sa vie.

Mon père m’a toujours parlé de « transmission » quand il tentait de m’initier à l’art de regarder toutes les œuvres qu’elles fussent anciennes, modernes ou contemporaines. Il y était constamment question du « petit chemin » venant du passé, qui nous rejoint dans le présent, en route vers le futur… Il tenait (et a réussi) à me faire voir le « fil conducteur » reliant les œuvres d’aujourd’hui, aux lumières venues de créations antérieures, autant qu’à l’inspiration qu’y puiseront à leur tour les artistes de demain… Ce n’est qu’à travers l’Art, que Jan exprimait librement ses sentiments.

D’où la primauté qu’il accordait au «premier jet» de l’artiste, au crayon, à l’encre ou au fusain, ce «premier jet» ponctue un geste fulgurant qui exclut la tricherie. Mon père était intarissable sur ces quelques traits de crayon surgis des tripes, dans lesquels l’artiste pouvait entrevoir des œuvres abouties à venir, ailleurs que sur papier, huile sur toile ou sculpture...

Il s’efforçait d’avoir le triomphe modeste, avec une pointe de malice, lorsqu’il revenait sur ce «premier jet» que l’on aime ou pas, et qu’il nous arrive même de déchirer ou de brûler. « Et alors ? concluait Jan. Il n’y a qu’à recommencer – cela restera toujours un premier jet ».

Jan Krugier a toujours été fasciné par le dessin. Sa première acquisition fut une œuvre de Georges Seurat. Le début d’une grande aventure ! Son lit s’était transformé en un amoncellement de livres d’histoire de l’Art, d’histoire et de politique. Il les dévorait tous, ce qui explique qu’en plus d’art, il vous parlait volontiers de politique et d’histoire. Il passait l’essentiel de son temps dans les pinacothèques, cabinets de dessins et musées, où il lui fallait encore apprendre et apprendre… Il s’est forgé un regard, à force de sonder les œuvres anciennes, dont notre présent est pétri.
Je garde le souvenir d’une exposition d’œuvres sur papier où – de Tintoret à de Kooning en passant par Cézanne ‐ il faisait apparaître, avec passion et rigueur, le fil conducteur courant à travers les siècles, d’un artiste à l’autre.

Impossible surtout d’oublier, à l’approche d’un dessin de Leonardo ou de Jacopo Bellini, la force avec laquelle il me serrait la main – si fort qu’elle en devenait toute rouge !

Je n’ai pas oublié non plus, combien m’impressionnait le rituel qu’il observait, lors de ses incessantes visites de collections privées ou de salles des ventes, qu’il arpentait dans tous les sens, ouvert aux rencontres les plus improbables, avec des œuvres ayant attiré son attention…. Prélude, lorsque cela se produisait, à une méticuleuse enquête sur les provenances de l’objet et à d’interminables recherches dans les bibliothèques, entrecoupées d’une dizaine d’allers‐retours au pied de l’œuvre, comme pour s’assurer que le charme opérait encore…  Alors seulement, il demandait que l’œuvre soit désencadrée pour lui permettre de vérifier enfin de ses mains, l’état du papier ‐ toujours concentré, mais, je le sentais, avec le cœur qui battait la chamade. Quand il se décidait à acheter, m’a‐t‐il avoué, il était pris de soudaines douleurs au ventre !

Il fut ainsi l’un des premiers à acheter les lavis de Victor Hugo, dont la modernité l’avait conquis. A cette occasion, il essuya les moqueries de nombreuses personnes qui le traitèrent d’antiquaire.  Jusqu’au jour où le directeur d’un très grand musée, le croisant à une foire d’Art devant un lavis de Victor Hugo, lui demanda d’un air sarcastique : « Alors Jan, on expose Beuys maintenant ? » Et là – l’église étant remise au centre du village - je vis mon père, comme un petit garçon surexcité me dire joyeusement : « Monsieur a pris le Hugo pour un Beuys ! Quelle revanche ! » J’ai compris ce jour‐là que mon père n’était pas du genre à transiger sur l’aptitude de ses pairs à reconnaître le caractère contemporain de certaines œuvres – à commencer par les lavis intemporels d’Hugo – œuvres sur papier de surcroît !

En trente ans, Jan avait réunit plus de cent trente dessins anciens allant du 14ème au 18ème siècles. Evidemment il ne s’arrêta pas en si bon chemin. Sa collection d’œuvres sur papier continua jusqu’au 21ème siècle… Mais cela est une autre histoire…

Mon père rêvait donc d’une Fondation qui témoignerait de sa passion pour les œuvres sur papier. Mon frère Aviel et moi‐même lui avions promis de la créer. Voilà, c’est fait…

Puisse le public profiter et partager à son tour cette passion qu’il a eût la générosité et l’amour de nous transmettre…

Tzila Krugier
Présidente